Développement
économique
transfrontalier
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Préambule
L’économie présentielle
Cette vision induit une façon différente de concevoir l’action
publique autour du développement économique d’un territoire,
plus uniquement concentrée sur le développement des firmes
présentes et l’accueil de nouvelles. L’analyse économique doit
prendre en compte sur le territoire l’articulation entre les différents
lieux de vie (habitation, production, consommation, loisirs), maillés
par un système de transports efficients, et intégrer le potentiel
que représente la captation de la richesse disponible au sein de
la population présente : développement d’activités de services
(commerces et loisirs, tourisme d’affaires et de loisirs). Il s’agit dès
lors de développer une stratégie d’accueil vis-à-vis des nouveaux
habitants, des pendulaires, des touristes, qui contribuent à
développer des activités de services
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à la population créant, par
essence, des emplois non délocalisables.
Chaque territoire se caractérise par la présence d’un équilibre
spécifique entre économies productive et présentielle, résultant
de sa géographie et de son histoire (capital productif et social,
accessibilité, aménités, …). Certains territoires peuvent «bien vivre»
sans économie productive. Bien entendu, la viabilité de l’économie
d’un territoire dépend de l’extérieur : en économie ouverte, les biens
ou services produits doivent trouver des débouchés extérieurs ; et
les flux nourrissant l’économie présentielle doivent être alimentés par
des revenus produits ailleurs (travail des alternants ou des touristes,
sécurité sociale des chômeurs et des retraités, financement des
services publics).
Les territoires plus ou moins productifs ou présentiels sont solidaires
des uns des autres, cette solidarité étant à la fois l’effet du marché
lui-même et de politiques publiques qui redistribuent le revenu entre
territoires, de façon explicite (aménagement du territoire) ou implicite
(maillage des services publics, sécurité sociale).
La régulation de cette redistribution est produite essentiellement
dans le cadre des États ; elle fait aujourd’hui l’objet d’intenses débats
et réformes en France et dans les pays voisins. Non seulement se
pose la question de la cohésion sociale (niveau de prélèvements
obligatoires, arbitrage entre efficacité et égalité), mais aussi celle de
la cohésion territoriale (échelle optimale de l’action publique, égalité
des territoires, approche fondée sur la population ou sur le territoire,
selon que l’on encourage plus ou moins la mobilité résidentielle).
Dans un contexte où la capacité des États à assurer la cohésion
se trouve limitée par la crise des financements publics, L. Davezies
a récemment proposé la notion de « systèmes productivo-
résidentiels »
7
, grands territoires associant les deux sphères, ce qui
leur assure une viabilité plus grande. C’est le fait même que certains
de ces systèmes sont transfrontaliers, alors que les régulations
restent, à ce jour, nationales, qui fait des territoires transfrontaliers
des laboratoires de la cohésion territoriale européenne.
6
http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/sphere.htm7
L. DAVEZIES et M. TALANDIER,
L’Emergence de systèmes productivo-résidentiels. Territoires
productifs – Territoires résidentiels: quelles interactions?
, CGET, La Documentation française,
2014.
Sphère présentielle et sphère
non-présentielle, le cas
particulier des territoires
transfrontaliers
Comme dans tout territoire, les deux dimensions (productive et
présentielle) sont présentes dans un territoire frontalier ou transfrontalier.
Mais parfois, la frontière fait office de séparation entre une zone plus
«productive», avec des industries produisant des biens et services qui
ne sont pas nécessairement destinés au territoire, et une zone plus
«présentielle», où les commerces, l’offre touristique, les services à la
population sont plus développés. Certains territoires frontaliers français
constituent ici un cas de figure emblématique du fait de l’intensité des
flux domicile-travail franchissant la frontière (vers le Luxembourg, les
métropoles de Bâle ou de Genève depuis les territoires environnants…).
La dichotomie entre territoire à dominante productive et territoire
à dominante présentielle ferait l’objet, au sein d’un État unique,
de régulations publiques variées (planification spatiale visant à
un rééquilibrage des flux, solidarité financière, réorganisation du
gouvernement local…). Mais de telles politiques publiques sont ici
hautement problématiques, du fait même qu’une frontière passe entre
territoire à dominante présentielle et territoire à dominante productive.
Une réflexion transfrontalière est alors importante pour ce type d’espace,
notamment sur le maillage des lieux de vie et l’offre de services. Cette
dimension d’aménagement du territoire n’est pas toujours partagée
en transfrontalier : c’est ici qu’intervient parfois une divergence dans
le rôle de l’intervention publique pour le développement économique.
Même si toutes les frontières ne présentent pas une telle polarisation,
la mobilité des personnes, des biens, des services, des capitaux, et
partant, l’intégration des territoires, ne joue désormais plus au sein de
chaque État, mais au sein de l’espace européen (Union européenne
et pays tiers comme la Suisse). L’hypothèse de ce travail est que
cette mobilité joue ou peut jouer de façon plus intense dans le cadre
d’espaces transfrontaliers, où elle est facteur potentiel de prospérité,
si elle est régulée de façon coordonnée entre États voisins.
100 km
SUISSE
VAUD
Jura
Ain
FRANCE
Nombrede travailleurs frontaliers
70649
27086
4 449
492
7431
4463
Genève
Haute-Savoie
Source : INSEE2012,BFS2015
Les flux domicile-travail sur le Grand Genève
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