Ruralités transfrontalières

Complémentarités urbain-rural : un enjeu phare de la transition écologique

Le développement des ruralités transfrontalières n’est pas à considérer comme étant une catégorie à part d’action publique, distincte du développement urbain, de la même manière que le développement des agglomérations transfrontalières nécessite d’appréhender les territoires ruraux environnants.

Ce constat s’appuie sur les interdépendances entre territoires urbains et ruraux, qui structurent leur développement. Cela est d’autant plus vrai à l’heure de l’adaptation et de la lutte contre le changement climatique. La résilience des agglomérations urbaines nécessite une prise en charge des risques climatiques et une appréhension étroite de leur métabolisme (c’est-à-dire les flux de matières et de personnes qui les traversent). De la même manière, les territoires ruraux transfrontaliers sont pleinement interdépendants avec les agglomérations qui leur sont proches, qu’ils soient directement intégrés aux systèmes urbains (mobilités pendulaires domiciles-travail), ou à l’écart de ceux-ci. Ils peuvent faire valoir leurs aménités résidentielles et touristiques, ou nécessiter des politiques dédiées de désenclavement.

Certains projets transfrontaliers sont emblématiques de la prise en charge des opportunités et synergies possibles entre espaces ruraux et urbains. Le projet AROMA, développé dans le cadre de l’INTERREG Grande Région 2014-2020 vise par exemple à créer une centrale d’achat commune pour alimenter les établissements de Restauration Hors Domicile du territoire transfrontalier en produits locaux issus de l’agriculture biologique. Il s’agit là de prendre en compte les complémentarités agricoles entre les différents territoires voisins de la frontière, afin de constituer des circuits-courts transfrontaliers pour alimenter les populations des différentes polarités urbaines et rurales du territoire.

L’exemple de la mise en place du Cluster transfrontalier Eau Lémanique est aussi marqueur des interdépendances écologiques entre territoires urbains et ruraux, en favorisant à la fois le développement économique de la filière de l’eau tout en répondant aux problématiques environnementales qui se posent pour une gestion efficience de cette ressource, qui viendra alimenter des espaces plus urbanisés.

Par ailleurs, les interdépendances entre territoires ruraux et urbains transfrontaliers sont aussi d’ordre socio-économique, avec d’importants flux d’échanges entre les centres urbains où se concentrent les emplois et les activités, et les espaces ruraux pourvoyeurs d’aménités résidentielles. Les nouvelles catégorisations du fait rural par l’INSEE témoignent de la proportion importante de ces espaces qui se trouvent directement sous l’influence d’un pôle urbain. A l’échelle transfrontalière, ces interdépendances économiques entre espaces ruraux et urbains posent différentes questions s’agissant des péréquations fiscales à adopter et des aménagements de ces espaces reliés à prendre en charge de manière commune.

L’expérience récente de la crise sanitaire et de l’augmentation du nombre de télétravailleurs frontaliers a aussi fait apparaître l’usage de territoires ruraux transfrontaliers comme pourvoyeurs d’aménités résidentielles et touristiques, attractifs pour des populations urbaines qui tendent à déménager vers ces espaces ou à s’inscrire dans des pratiques de multi-résidentialité (entre ville et campagne notamment). Le développement des tiers-lieux numériques, permettant la création de nouveaux espaces de sociabilité et le rapprochement d’activités de l’économie présentielle avec celle de l’économie productive, est aussi un exemple de nouvelles formes de liens qui peuvent se construire entre espaces ruraux et urbains. Le projet COWOPY de mise en réseau des espaces de coworking ruraux et urbains des deux côtés des Pyrénées est ici un bon exemple de déclinaison transfrontalière.

Au total, les interdépendances économiques et écologiques entre territoires urbains et ruraux ne sont pas le propre des territoires transfrontaliers, mais elles nécessitent une prise en compte d’autant plus particulière près des frontières. En effet, ces interdépendances entre un territoire et son voisin étranger sont plus difficiles à se représenter que sur un même versant domestique. Cette rupture des représentations est aussi une rupture des modèles de régulation, avec des complémentarités économiques ou écologiques qui font plus difficilement l’objet de prises en charge dédiées.

 

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