Le rôle de la coopération transfrontalière dans la vie quotidienne des citoyens

Chaque jour, des centaines de milliers de personnes franchissent les frontières, pour travailler, consommer, accéder à des services, ou simplement échanger avec leurs voisins.
A l’échelle européenne, les territoires transfrontaliers représentent environ 196 millions d’habitants, soit plus d’un tiers de la population européenne. 
Les territoires transfrontaliers sont ainsi devenus au fil du temps de véritables sites-pilotes de la construction européenne.
Sur les frontières françaises on dénombre aujourd’hui près de 340 000 personnes résidant en France et travaillant quotidiennement de l’autre côté de la frontière : phénomène qui a fait émerger de véritables bassins de vie transfrontaliers, dans lesquels des démarches pilotes de coopération et de gouvernance transfrontalière se sont mises en place pour faire face aux nombreuses problématiques et enjeux transfrontaliers.
L’objectif premier de ces coopérations et partenariats : répondre aux besoins et aux attentes des habitants qui vivent la "transfrontalité" dans leur vie de tous les jours. 
La coopération transfrontalière, par essence multithématique, concerne de nombreux thèmes de la vie quotidienne comme l’emploi, les services publics, les transports, la santé, la culture et le tourisme, etc.

Quelques exemples :

L'emploi

Citons deux exemples illustrant le rôle de la coopération transfrontalière dans la vie quotidienne des travailleurs frontaliers :

  • Le réseau EURES créé par la Commission européenne dans le but de favoriser la libre circulation des travailleurs. Il vise à informer, guider et conseiller les travailleurs mobiles sur les offres d'emplois et les conditions de vie et de travail en Europe.
    Dans les régions transfrontalières, des structures spéciales, les "EURES-T" (Transfrontaliers) ont été mises en place pour répondre aux besoins particuliers des travailleurs et des employeurs. Ce dispositif est essentiel pour informer sur les conditions de vie et de travail de part et d'autre des frontières, participer à la diffusion des offres et des demandes d'emplois en zones transfrontalières, etc.  
  • Autre exemple, sur la frontière franco-suisse, qui concentre près de 140 000 travailleurs frontaliers : s’est mis en place en 1963 une association de travailleurs frontaliers, le Groupement Transfrontalier Européen, qui regroupe plus de 35000 adhérents, pour leur apporter assistance juridique, fiscale et sociale, car les questions qui se posent à eux dans ces domaines sont nombreuses.

Les transports

Ces déplacements "domicile-travail" génèrent sur de nombreux territoires une saturation des voix de communication. Pour y répondre, les collectivités locales développent avec leurs homologues frontaliers des lignes de transports (que ce soit bus, train, tram) qui puissent traverser la frontière. Ces projets sont souvent très compliqués à mettre en œuvre.
Exemple : projet de ligne de tramway (appelé CEVA) entre le centre de Genève et la gare d’Annemasse.
Autre exemple : le projet "Interalpes" destiné à trouver des solutions pour améliorer le trafic sur l’arc alpin et plus généralement sur le territoire franco-italien, en favorisant le développement de l’intermodalité.

Les services publics

L’exemple de crèches transfrontalières illustre lui aussi parfaitement le rôle de la coopération dans la vie de tous les jours. Ce type de structure permet à la population transfrontalière de disposer de places d’accueil collectives supplémentaires pour des enfants en bas âge. Exemple de la "Maison de la petite enfance transfrontalière" franco-allemande entre Strasbourg et Kehl ou encore d’une crèche collective sur le territoire de l’Eurodistrict Regio Pamina. De surcroît ce type de projet favorise l’apprentissage de la langue du voisin et la familiarisation avec la culture voisine dès le plus jeune âge, avec souvent des équipes bilingues et binationales.  

La santé

Pour assurer une prise en charge médicale efficace et le transport urgent des malades dans l’hôpital le plus proche : la coopération entre les services de santé de part et d’autres d’une frontière s’est imposée depuis de longues années. Mais là encore les obstacles juridiques sont nombreux et des accords bilatéraux, entre les Etats, ont dû être passés pour résoudre ces problèmes très concrets (Accords sanitaires entre la Belgique et la France par exemple, mais aussi avec l’Allemagne et l’Espagne).
Un exemple : le projet de construction du premier hôpital transfrontalier d’Europe situé à Puigcerda, petite commune catalane de Cerdagne, à la frontière franco-espagnole. L’établissement permettra de pallier le manque de structure hospitalière (notamment soins d’urgence et d’obstétrique) sur ce territoire de montagne isolé où les patients ne peuvent aujourd'hui être pris en charge qu’à Perpignan soit à plus de 100 km du territoire.

L’implication de la société civile

La coopération transfrontalière, qui  répond donc à des besoins réels et concrets des populations locales, est surtout développée par les pouvoirs publics et reste peu connue de la société civile.
Or c’est au sein des territoires transfrontaliers, dessinés par tous ces flux et ces échanges, que se forge de façon concrète une cohésion territoriale et une "identité européenne".
Aussi, un autre enjeu de la coopération transfrontalière est de développer le sentiment d’appartenance des habitants à un espace transfrontalier. De nombreux projets transfrontaliers, par exemple dans des domaines comme la culture ou le tourisme, favorisent cela :  

  • Sur la frontière France/Allemagne/Suisse : le "pass musées du Rhin Supérieur" offre un accès gratuit et illimité à environ 170 musées de la région trinationale.
  • Le long des côtes du Kent et du Nord-Pas-de-Calais : des itinéraires touristiques transfrontaliers comme la route du patrimoine touristique maritime, font découvrir aux habitants la culture et le patrimoine du voisin tout en les rapprochant.
  • De plus en plus de projets tentent d’impliquer directement les citoyens comme le "KM Solidarité", course transfrontalière qui réunit chaque année les jeunes de l’Eurodistrict Strasbourg Ortenau et dont les bénéfices servent à une bonne cause.

Pour aller plus loin, des autorités publiques ont mis en place des dispositifs de gouvernance transfrontalière impliquant directement la société civile. Par exemple :

  • Le Conseil de développement de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai, forum constitué de 60 représentants de la société civile, permet d’associer la société civile aux réflexions et aux travaux menés par le GECT.
  • Le Grand Genève associe lui aussi la société civile dans l’élaboration de son projet d’agglomération transfrontalier, par exemple en ayant demandé l’avis des citoyens sur le nom même du territoire transfrontalier  "Grand Genève".


D’une manière générale, pour répondre à tous ces besoins et attentes des citoyens, il est essentiel d’organiser un soutien et une "véritable" gouvernance de la coopération transfrontalière, et ce à trois niveaux :

  • Au niveau européen, avec le soutien apporté aux projets transfrontaliers par les programmes de financements européens, type Interreg.
  • Au niveau local, avec un engagement accru et une volonté politique forte de développer la coopération, et grâce à des outils de coopération mis à la disposition des acteurs locaux, type GECT.
  • Au niveau national, en organisant, et en coordonnant, les services de l’Etat (services centraux et déconcentrés) pour répondre à ces enjeux. Dans ce cadre, je peux citer les travaux de la Mission Opérationnelle Transfrontalière, dont je suis président, qui constitue un outil public multi-niveaux précieux pour développer la coopération transfrontalière, et qui crée  un lien direct, indispensable, entre les acteurs des territoires, et les institutions nationales et européennes, pour mettre en œuvre, à ces niveaux, les évolutions nécessaires.