Crise sanitaire
Sommaire
Problèmes rencontrés et enjeux pour les territoires transfrontaliers
La fermeture des frontières en réaction à la pandémie de Covid-19 a eu des impacts majeurs sur les régions frontalières. Elles ont été plus touchées que toute autre région d’Europe. Plusieurs impacts mettant en tension les mécanismes structurels de coopération transfrontalière peuvent être recensés :
Impacts économiques
Les restrictions d’accès aux frontières ont eu un impact négatif majeur sur des économies fortement dépendantes de leurs travailleurs transfrontaliers. Au Luxembourg, 45% des emplois sont occupés par des frontaliers. Ce taux monte à près de 70% au sein des professions médicales, parmi lesquels une majorité de Français. Leur absence aurait pu donc avoir un effet particulièrement délétère sur le système de santé luxembourgeois si leur passage n’avait pas été facilité par les autorités luxembourgeoises durant la crise. Ainsi, la frontière franco-luxembourgeoise n’a-t-elle jamais été complètement fermée, du côté luxembourgeois.
Cette forte dépendance à l’égard d’une main d’œuvre transfrontalière est également marquée dans le secteur médical au sein des cantons suisses.
L’un des secteurs souffrant le plus des conséquences de la crise sanitaire est celui du tourisme. Or, ce dernier constitue une activité essentielle en particulier pour les territoires de montagne tels que ceux des Pyrénées ou des Alpes. A la frontière franco-espagnole, le secteur touristique représente ainsi plus d’un tiers des revenus du département des Hautes-Pyrénées.
Impacts sur la mobilité transfrontalière
Si des mesures à destination des travailleurs travaillant de l’autre côté de la frontière ont pu être prises, cette traversée a été rendue d’autant plus compliquée du fait de la fermeture de services transfrontaliers et de la réduction du nombre de points de passages frontaliers et du nombre croissant de contrôles sanitaires.
Fin 2020, une quinzaine de points de passage ont ainsi été fermés entre la France et l’Espagne. Face à cette situation, une déclaration commune des présidents des territoires pyrénéens (Euskadi, Navarre, Aragon, Catalogne, Andorre, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine) composant la Communauté de Travail des Pyrénées, a été signée pour contester ces fermetures.
Plus d'informations à ce sujet dans les articles de presse (cf. colonne de droite)
Impacts juridiques et fiscaux
Les restrictions d’accès au territoire voisin ont suscité des inquiétudes quant au maintien des droits des travailleurs frontaliers en lien avec l’accélération des mesures de télétravail durant cette période.
Des mesures d’urgence ont été prises pour maintenir les liens économiques entre pays (notamment entre l’Allemagne, la France, la Suisse et le Luxembourg) et acter le maintien des contrats de travail des frontaliers. Les possibilités de télétravail au-delà des 25% des horaires du salarié ont ainsi pu être élargies et les droits de protection sociale ou la totalité de la rémunération ont pu être garantis, dans l’ensemble.
Le maintien du télétravail à un niveau plus élevé qu'avant la crise, souhaité par les salariés, et favorable à la réduction de la congestion transfrontalière, nécessite d'améliorer le cadre bilatéral et européen. Plus d'infos dans l'étude menée par la MOT sur ce sujet.
Pour les secteurs ne permettant pas le télétravail ou conduisant au chômage technique, l’impact sur les travailleurs a été d’autant plus sévère. Ainsi, sur la frontière franco-espagnole, le recours aux travailleurs saisonniers espagnols dans des secteurs tels que le tourisme, l’agriculture ou le BTP, a fait défaut.
Impacts pour les résidents transfrontaliers
Au-delà des impacts économiques, la spécificité des régions frontalières réside également dans le fait que ces dernières constituent des "communautés de vie" pour les habitants de part et d’autre de la frontière, dépassant le simple cadre national. Certains d’entre eux ont construit leur histoire personnelle au cœur de ces territoires, créant des liens familiaux et matrimoniaux au-delà des frontières. Le franchissement de la frontière est ainsi une réalité vitale pour nombre de frontaliers leur permettant d’aller étudier, travailler, de retrouver leur conjoint ou d’aller faire leurs courses. Avec la fermeture des frontières et les différentes mesures de confinement prises, les séparations intrafamiliales ont été particulièrement exacerbées en contexte transfrontalier.
De même, les stagiaires et apprentis ont fait face à des difficultés d’accès à leur entreprise de l’autre côté de la frontière, du fait de politiques différentes entre pays. Au Luxembourg, les apprentis sont considérés comme étudiants et non comme salariés. Ils n’ont donc pas été autorisés à traverser la frontière pour rejoindre leur entreprise. A la frontière franco-belge, ce sont les stagiaires français qui n’ont pu se rendre à leur travail en Belgique.
Enfin, la fermeture des frontières a révélé l’importance des volumes d’achat en transfrontalier de certains produits de consommation courante (tabac, essence…). A Kehl, ville située à la frontière franco-allemande, une large part des ventes est tirée par la clientèle française. Son absence a eu des répercussions particulièrement négatives pour les commerçants.
Comment la crise a-t-elle été vécue par les habitants des territoires transfrontaliers ?
Selon les territoires, le niveau d’acceptabilité de la fermeture des frontières a été variable.
Dans certains espaces transfrontaliers, des citoyens français ont pu faire face à des comportements hostiles à leur égard.
L’Alsace et la Moselle ayant été parmi les premiers foyers de Covid-19 sur le territoire français, la plupart des habitants des régions allemandes voisines ont vécu la fermeture des frontières comme un rempart contre la propagation du virus. La situation à la frontière a pu susciter des tensions : les citoyens français avaient la sensation d’être indésirables dans les commerces, alors que les Allemands pouvaient librement traverser la frontière pour se rendre en France.
En revanche, les mesures de confinement en France et au Luxembourg ayant été assez similaires et ayant eu lieu à peu près en même temps, l'acceptation a été globalement la même, de part et d'autre de cette frontière.
Le choc de la fermeture des frontières pour les habitants des territoires transfrontaliers a poussé de nombreux citoyens à manifester leur mécontentement. La Journée de l’Europe (9 mai 2020) a été l’occasion de regroupements dans des communes luxembourgeoises telles que Dudelange, dans le canton d’Esch-sur-Alzette mais également à la frontière franco-allemande, où entre 100 et 200 Français et Allemands se sont rassemblés pour exprimer leur solidarité avec les voisins et contester la fermeture des frontières dans un espace aussi étroitement interconnecté que cette agglomération transfrontalière.
En parallèle de ces manifestations, des pétitions ont été lancées. Un citoyen belge a ainsi lancé une pétition intitulée "La liberté de circuler librement entre la France et la Belgique !" - ayant recueilli plus de 6 000 signatures - pointant l’absurdité de ces contrôles pour un territoire transfrontalier aussi intégré que celui de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai.